A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

mercredi 17 décembre 2014

Le polisson de la chanson

Oxymore par excellence, Le pornographe, publié sur le 25 cm N°6 (Philips B 76.451 R) en novembre 1958, est une des chansons les plus célèbres de Georges Brassens. Mais aussi une de celles qui furent censurées en leur temps. Alliant à la fois la beauté de la langue à tout ce qu'elle a de plus vulgaire avec ses grossièretés de l'époque, le poète sétois réagit ici à quelques critiques agaçants qui le qualifiaient de poète "pas pour toutes les oreilles" et de grossier personnage. Ceux-là même qui s'offusquaient voire même quittaient la salle après les deux ou trois premières chansons de ses récitals... puis se pressaient d'acquérir les disques pour les apprécier en toute discrétion ! Et bien entendu, Brassens n'oublie pas de se moquer un peu de lui-même à l'occasion.

A ce sujet, Boris Vian, soutenant son confrère, a publié un article le 29/10/1958 dans Le Canard enchaîné: A propos de Brassens : Public de la chanson, permets qu'on t'engueule !  En 1959, au cours d'une célèbre interview avec Luc Bérimont (utilisée pour publication sur le 33T Philips-Réalités V. 23 - Georges Brassens, qui êtes-vous ? - AA 77.470 L) qui  voulait lui faire évoquer la place et le sens des gros mots dans son écriture, le libertaire de la chanson s'exprime ainsi:

Georges Brassens: "On n'a jamais reproché à Ronsard, à Du Bellay, à tous ces gens-là, une certaine verdeur de langage, une verdeur beaucoup plus voyante que la mienne, en fin de compte. Parce que je n'ai pas dit grand chose, vous savez, je n'ai dit que quelques mots, cinq ou six mots qui sont réputés suspects, mais c'est tout. J'ai dit des mots, mais les idées n'y étaient pas; derrière, l'intention n'y était pas, l'intention choquante n'était pas là. J'ai dit des mots parce que ces mots sonnaient bien et que je les avais entendu dire par des gens d'ailleurs très convenables, des gens très bien qui... ne les ont pas aimés dans mes chansons."

En composant Le Pornographe, Georges tourne en dérision son image de "polisson de la chanson". A travers une versification efficace, ses octosyllabes s’attardent avec emphase et gros mots sur la destinée du chanteur de cabaret, honnête homme prisonnier de son image et forcé de"cracher des gauloiseries"  pour gagner sa vie :
 

Tous les sam'dis je vais à confess’
m’accuser d’avoir parlé d' fess's
Et j' promets ferme au marabout
De les mettre tabou...
Mais
Craignant, si je n’en parle plus, 
D' finir à l’Armée du Salut,
Je r'mets bientôt sur le tapis
Les fesses impies.

Il est intéressant de remarquer que chaque couplet se termine par un "gros mot" ou une expression familière, amenant le refrain de manière très percutante. Anne Sylvestre discute de cette particularité avec Jacques Vassal dans un entretien daté de novembre 1990:

Anne Sylvestre: "On a besoin de chansons efficaces, sur scène. C'est un piège, car on enchaîne les couplets avec une belle chute." [Vassal J. - Brassens, homme libre - pp. 170-171]


Avec talent, Brassens dévoile les "gros mots", lesquels mettent en valeur l'ensemble du texte sans le salir. Cela constitue un tournant dans l'exercice de l'écriture car, auparavant, aussi conséquent soit le répertoire de chansons paillardes, l'on suggérait plus qu'on ne dévoilait. De plus, le "pornographe du phonographe" manie l'humour avec virtuosité et nous montre que "le mot n'est rien du tout", comme il l'a lui-même écrit. Dans ses notes de pochettes pour le 33T N°5 de la collection des Grands Auteurs et Compositeurs, Interprètes (Philips P 77851 L), René Fallet aura pour son ami cette fameuse pensée: "Nous nous souhaitons beaucoup de galopins de cet acabit."

Néanmoins, si Brassens a pu se régaler à écrire cette chanson, l'image que, croit-il, le public a en partie de lui ne le laisse pas indifférent. Ce qu'il confie à Luc Bérimont:

Georges Brassens: "Le contact quotidien que j'ai avec le public me ramène toujours vers ce public, vers l'esthétique qu'il est capable d'accepter, que j'ai pu lui donner. Il m'est impossible en ce moment de me libérer complètement du public. J'ai quand même besoin de lui. Il faudrait que ce public me rejette ou que je change complètement, que je sois malade, que je devienne amnésique par exemple, que j'oublie complètement Brassens, que j'oublie ce qu'était Brassens, que je me mette à écrire autre chose. Alors ce serait peut-être nouveau et ce serait sans doute un enrichissement. Mais, pour le moment, il m'est impossible de faire quoi que ce soit sans tenir compte de cette poignée de gens qui m'aiment vraiment. Je suis un peu enfermé, là. Ce n'est pas très grave, d'ailleurs. Mais c'est comme ça. Et je crois que, si j'avais la possibilité de faire autre chose, le public ne l'accepterait pas." 

Ce public qui réclame de Georges qu'il parle "comme un turlupin":

Et quand j'entonne, guilleret,
À un patron de cabaret
Une adorable bucolique,
Il est mélancolique...
Et
Me dit, la voix noyé' de pleurs,
"S'il vous plaît de chanter les fleurs,
Qu'ell's poussent au moins rue Blondel
Dans un bordel."

Lui qui, durant son enfance, avait "la phobie des gros mots", en a ainsi choqué sa mère dès la parution de ses premiers disques. On pense de suite à des titres comme Le gorille, Hécatombe ou encore P... de toi. Elvira, profondément croyante et catholique pratiquante, était soucieuse de l'avenir comme de l'image de son fils et lui avait donné une éducation en conséquence. Aussi, les "mots crus tout à fait incongrus" ne pouvaient passer par ses oreilles, ce qui explique que jamais elle ne vint voir Georges se produire sur scène. Très à cheval sur les principes, peut-être eut-elle changé d'avis si elle avait su que toutes ces gauloiseries s'inscrivaient dans une tradition poétique et populaire qui remonte au Moyen Âge ?

Car, comme le soulignait l'intéressé : "Quand je dis merde, il y a des fleurs autour." [Brillié M., Brièrre J.-D., Lesueur D.., Boulard G. - Georges Brassens : Dictionnaire des copains, amis, poètes et des personnages, réels ou fictifs des chansons - Éditions du Layeur (coll. Layeur Beau Livre), Paris: 253 pp.]

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