A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

vendredi 24 juillet 2015

Que jamais l’art abstrait, qui sévit maintenant…

"Ainsi Brassens a-t-il enrichi le vocabulaire d’un bon nombre de braves gens." notait André Sallée dans son ouvrage Brassens (Solar, 1991). Référence était faite ici à un mot mystérieux que le poète sétois utilisa dans quatre de ses chansons : Entre la rue Didot et la rue de Vanves, Misogynie à part, Révérence parler et Vénus Callipyge.

La Vénus callipyge, du grec ancien Ἀφροδίτη Καλλίπυγος (Aphrodítê Kallípugos), est un type de statue grecque représentant la déesse de l’amour et de la sexualité Vénus - ou plus exactement Aphrodite, pour être helléniquement rigoureux - soulevant son péplos pour regarder ses fesses, nécessairement belles, par-dessus l'épaule. L’adjectif callipyge (de καλός (kalόs), beauté et πυγή (pugế), fesse) fait en effet référence à la perfection des fesses. A ce sujet, le philosophe athénien Clément d'Alexandrie mentionne un culte de la Vénus callipyge dans un temple de Syracuse. Il est intéressant de noter que sur l'origine de cette vénération, une légende est née selon laquelle deux jeunes filles de Syracuse essayaient de savoir laquelle des deux avait les fesses les mieux faites. On en trouve trace dans Deipnosophistes, ouvrage en quinze tomes écrit au IIIe siècle par l’érudit et grammairien Athénée de Naucratis.


Vénus callipyge © Berthold Werner - Naples, National Archaeological Museum, Inv. 6020

Cette histoire inspira à Jean de La Fontaine un de ses contes libertins, publié dans ses œuvres posthumes en 1696. La Fontaine, dont l’œuvre était l’une des lectures préférées de Brassens. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que ce dernier y ait puisé son inspiration pour sa Vénus callipyge à lui. Ce fut d’ailleurs le cas pour l’écriture de bien d’autres de ses chansons de salle de garde. Robert Le Gresley y fait d’ailleurs allusion dans son Pour vous Monsieur Brassens, d'affectueuses irrévérences, en se mettant dans la peau de Germain Metge (l’un des copains sétois avec lesquels Georges avait formé un petit orchestre à la fin des années 1930, pour jouer dans quelques guinguettes et cafés de l'île singulière).

Vénus Callipyge fut enregistrée le 04/11/1964 au studio Blanqui, sous la houlette de Jean Bonzon et André Tavernier. Barthélémy Rosso est à la seconde guitare. Dans les Œuvres Complètes de Georges Brassens (Éditions Le Cherche-Midi, 2007), Jean-Paul Liégeois nous révèle un couplet inédit, qui devait être placé en cinquième position, mais qui fut finalement supprimé par le poète sétois :

Le règne est terminé de Vénus callipyge.
La Vénus hottentote est enfin détrônée.
Même toute vêtue, vous lui faîtes la pige ;
Auprès de vous, la pauvre à l’air désincarné.

Rejoignant l'art même du blason (pièce poétique composée de petits vers à rimes plates, souvent utilisée aux XVe et XVIe siècles pour évoquer le corps féminin, ainsi que le note René Fallet), le texte, ironique mais courtois, image les fesses de la femme (comme c’est également le cas dans d’autres chansons brasséniennes telles que Tonton Nestor), nous fait rencontrer la mythique Fanny qui a enfanté une expression traditionnelle que connaissent bien les joueurs de pétanque:

(...) quand je perds aux boules,
En embrassant Fanny, je ne pense qu'à vous.

Il utilise des métaphores dont une renvoie au fameux conte de La Fontaine et à la Vénus callipyge du Musée archéologique national de Naples : "Voir votre académie, madame, et puis mourir." Par ailleurs, le premier couplet est répété à la coda, des paroles qui font mouche, un peu à la manière des moralités des Fables de La Fontaine.

Georges Brassens au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis (93) le 17/12/1964

Un document intéressant nous est relaté par Jacques Vassal dans Brassens, homme libre (Éditions Le Cherche-Midi, 2011). Il s’agit d’un extrait de conversation capté lors des sessions de Vénus callipyge. Entre deux prises avortées, Brassens discute avec Pierre Nicolas et évoque le vers "Et vous devez crever votre dame d’atour" :

Georges Brassens : "C’est comme ça que ça se passe, en plus. Peut-être pas partout, mais enfin, moi, j’ai connu des filles qui faisaient tout pour que leur cul soit… fût en évidence. Et quand tu disais : "Quel beau cul elle a, celle-là !", elle était vexée. Mais elle faisait tout pour ça ! Je l’avais d’ailleurs faite dans ce sens, la chanson,  à l’origine. Je luis disais : « Au fond, vous vous baladez en disant : "Avez-vous remarqué que j’avais un beau cul ?" Alors je lui disais à la gonzesse : "C’est pas la peine de mettre un écriteau, hein, c’est… on sait ce que vous voulez dire "

De ces remarques, on retrouvera une phrase dans le dernier couplet de La Fessée, comme le fait remarquer Jacques Vassal. En bon philosophe, Brassens a régulièrement fait écho à ses propos dans son œuvre en brocardant certaines maladresses de la gente masculine. Ainsi en est-il dans Marinette ou bien encore A l’ombre du cœur de ma mie. Au cours d’une série d'entretiens réalisée en 1974 pour RTL avec Louis Nucera - reprise dans Brassens - délit d’amitié (ArchiPoche, 2001), il eut cette réflexion :

Georges Brassens : "L’homme a tendance à être brutal quand il a un désir sexuel à satisfaire, il est relativement pressé. La femme a tout son temps, au contraire (...) je crois que l’homme et la femme (je ne l’ai fait qu’avec des femmes, moi) sont très différents : la femme a besoin d’un tas de choses autour et l’homme ne les lui apporte pas toujours. La femme a besoin d’un climat."

En outre, la femme, sujet premier de l’œuvre Brassénienne, y a toujours été traitée avec grand respect, estime et vénération. Le poète sétois s’était exprimé longuement sur ce sujet au cours de diverses interviews dont des extraits ont été reprises par Loïc Rochard en chapitre 6 de son livre Brassens par Brassens (Éditions Le Cherche-Midi, 2011).

Vénus Callipyge, quant à elle, fut incluse au track-listing du 33T Les copains d’abord (Philips B 77894 L, 11/1964). On dit que Brassens aurait voulu qu’elle fisse partie des chansons régulièrement bissées de son répertoire. Mais cette chanson, comblant les amateurs du genre, n’a pas échappé à René Fallet, l’ami de toujours, le critique artistique, qui met humoristiquement en avant l’hommage rendu au Duc de Bordeaux, célèbre chanson paillarde évoquant la physionomie du comte de Chambord: Henri d'Artois, prétendant à la couronne de France en 1871…

C'est le duc de Bordeaux qui s'en va, tête basse,
Car il ressemble au mien comme deux gouttes d'eau.
S'il ressemblait au vôtre on dirait, quand il passe:
"C'est un joli garçon que le duc de Bordeaux !"

Si, comme le note Alain Poulanges en commentaire dans Les manuscrits de Brassens, cette référence s'adresse aux initiés du genre, les deux derniers vers du premier quatrain répété à la coda sont dirigés, eux, vers tout le monde:

(…)
Au temps où les faux-culs sont la majorité
Gloire à celui qui dit toute la vérité

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