A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

mardi 1 avril 2014

Brassens, Verlaine et… Trenet

"Brassens m'aimait beaucoup, étant donné que j'étais le chanteur de sa jeunesse. Mais, dieu merci, il ne s'est pas inspiré de ce que j'ai fait. Il a fait autre chose, une œuvre qui résiste au temps. Parce que, justement, il n'as pas sacrifié à la mode. Il l'a créée." Charles Trenet ["Il n'y a plus de chansons..." (Propos recueillis par J. Théfaine) - Chorus (Les Cahiers de la chanson N°28, juillet-août-septembre 1999]

C’est au printemps 1938 que Georges Brassens, fou de musique et de rimes populaires, est conquis par l’œuvre de Charles Trenet, alors devenu un véritable phénomène avec des titres comme Terre, Boum, Je chante, Y a d'la joie. Le Fou chantant devient une grande source d’inspiration pour ses écrits de l’époque et déclenche son envie de peut-être se faire une place dans la chanson, plus tard. Ce d’autant plus que Brassens est un grand amateur de jazz. Aussi, c’est avec grand intérêt qu’il découvre que Trenet a ainsi mis en musique un poème de Verlaine : Chanson d’automne. Il l’enregistrera sous le titre Verlaine et le 78T sortira en 1941, avec Terre en face B (Columbia  BF217). Un an plus tard, notre sétois passe des vacances estivales dans sa ville natale pour y passer des vacances. C'est à cette époque qu'il va applaudir son idole au théâtre de Montpellier. Il a une trentaine de textes de chansons sous le bras, qu'il souhaiterait lui faire lire. Mais Trenet n'est pas disposé à voir qui que ce soit et Georges sera reçu par le chanteur Roland Gerbeau, qui assure la première partie du spectacle du Fou chantant. [Calvet L.-J., 1991. Georges Brassens - p. 38] Ce dernier a-t-il lu les textes de son jeune admirateur ? Gerbeau nous le raconte:

Roland Gerbeau: "(...) Charles ne l'a pas reçu. Il y avait tellement de gens qui lui apportaient des chansons ! Tout le monde croyait qu'il allait vous aider, en tout cas faire quelque chose. Alors, aux yeux de Charles, Brassens n'était encore q'un jeune chanteur de plus, ou un jeune auteur, qui voulait de l'aide. Et pourtant, Brassens ne venait pas pour qu'on lui chante ses chansons ! Je me souviens, j'avais bavardé avec lui (je ne le connaissais pas non plus puisqu'il était totalement inconnu) et il m'avait expliqué qu'il ne voulait pas donner ses chansons à Charles, il voulait seulement savoir ce qu'elles valaient. Le plus drôle, c'est que si Charles ne l'a pas reçu, il m'a dit tout de même: "Prends-les et tu me les montreras." J'avais donc pris les chansons de Brassens, je les avais montrées à Charles (mais je ne sais pas si il les avait lues), puis je les avais récupérées dans une valise. Nous étions alors en tournée. Et ces chansons, je les ai eues en ma possession pendant très, très longtemps, je les ai gardées. Il y a quelques années encore, je les avais dans des papiers, chez moi, je les avais retrouvées tout à fait par hasard. Et puis j'ai été cambriolé, on m'a volé mes valises, et je les ai ainsi perdues. Je pense qu'elles contenaient des documents que Brassens a enregistrés par la suite..." (Roland Gerbeau in Cannavo R., 1993. Monsieur Trenet, Lieu Commun, Paris : 664 p.)


Trenet aidera Georges à passer les durs moments de l’époque du S.T.O. où, les samedis, les prisonniers du camp de Basdorf se rendent à la brasserie du Waldfrieden pour s'occuper. L'établissement dispose d'un piano qui eut une histoire singulière. En effet, il ne fallut pas longtemps pour que Brassens l’utilise pour s’accompagner en interprétant son répertoire, tout en y ajoutant quelques-unes de ses propres compositions. Bien entendu, il ne résiste pas à l’idée de glisser de temps en temps une ou deux chansons de Charles Trenet. Il en fera autant et de manière régulière au foyer du camp, surnommé "Le Casino", sur le piano qu'y avait découvert René Iskin. C'est ainsi que ce dernier découvrit que son compagnon était aussi auteur-compositeur. De cette époque est venue l’idée, avec André Larue, du radio-crochet Paris-Basdorf, destiné à détecter quelques talents parmi au sein du camp. Georges n’y participera pas en tant qu’interprète mais comme accompagnateur. Notons qu'il continuera d'interpréter Trenet durant sa carrière, comme lors de l'émission télévisée Douce France (28/10/1963), de François Chatel, où il chante Fleur bleue en plus de deux de ses propres chansons: Dans l'eau de la claire fontaine et Les amours d'antan. La première vraie rencontre entre Trenet et Brassens a lieu en 1960, alors que ce dernier était venu voir le Fou chantant au théâtre de l'Étoile. Ils chanteront ensemble le 12/10/1965, pour l’émission Musicorama, enregistrée pour Europe 1 au vieux théâtre de l’ABC. L’année suivante, ils remettront le couvert pour l’émission télévisée La La La de Janine Guyon, diffusée le 21 mars. Les chansons interprétées sont Le grand café, Tout est au duc et Le petit oiseau. C'est de cette époque que daterait une anecdote (que l'apport de nouveaux éléments pourrait permettre de certifier de manière précise) relatée par Jacques Pessis dans Trenet - Le philosophe du bonheur (2011): en aparté, Trenet fait part à Georges de son regret d'avoir égaré, au cours d'un déménagement, son exemplaire d'un des premiers 78T qu'il enregistra avec Johnny Hess. Le sétois moustachu, qui en possède un, le lui offre avec un mot sur la pochette: "La première chose à sauver en cas d'incendie." [Pessis J., 2011. Trenet - Le philosophe du bonheur - p. 182]
 

Les deux grands artistes de la chanson francophone se portent une estime réciproque. L'auteur-compositeur de Y a d'la joie loue souvent les talents de son confrère au cours d'interviews, comme par exemple en 1958, après avoir fêté ses vingt ans de carrière à l’Alhambra-Maurice-Chevalier. Ou bien encore le 21/03/1961, face à Paul Giannoli, de Paris-Presse: "(...) Si vous entendiez les concerts que je donne le matin dans ma salle de bains. Il y a très peu de Trenet ! Mes auteurs de salle de bains c'est Brassens, c'est Léo Ferré, c'est les chansons d'Amade et de Bécaud et les chansons d'Aznavour." [Cannavo R., 1993. Monsieur Trenet - p. 420] A Jacques Pessis, il dira considérer Brassens comme un troubadour, un immense mélodiste, mais aussi comme un "littéraire" car ses chansons n'ont pas besoin de musique pour être écoutées et appréciées. [Pessis J., 2011. Trenet - Le philosophe du bonheur - p. 181] Témoins également les deux documents qui vont suivre. Tout d'abord, une lettre de Charles Trenet, reproduite dans le programme du récital de Brassens à l'Olympia du 03/11 au 03/12/1961:

"Vous êtes entré dans la légende et vous avez donné à vos créations des bottes de sept lieues. Mais vous n'êtes pas l'ogre, pas plus que l'ours ou le gorille ! Vous êtes un doux grand poète, le plus solide pilier de l'édifice chanson. En un temps record, vous avez su échapper à la mode (celle qui ne dure qu'une saison, comme la grippe !) et l'arbre auprès duquel vous voulez demeurer, c'est vous. Votre génie vous dispense de forcer votre talent. La gloire ne vous changera jamais comme le vent ne peut changer la couleur du ciel à Sète.

A travers Paris à qui nous devons tout, je vous tends de mon "étoile" jusqu'à votre "Olympia" une grande main d'admirateur fidèle et d'ami."

Puis un autre témoignage, mais de Georges cette fois. Il s'agit d'un hommage publié dans le quotidien L'Humanité qui, en 1965, avait sollicité "treize vedettes d'aujourd'hui" pour évoquer "un grand de la chanson". [Lamy J.-C., 2004. Brassens, le mécréant de Dieu - pp. 135-136] Tous (Marcel Amont, Charles Aznavour, Alain Barrière, Gilbert Bécaud, Georges Brassens, Pétula Clark, Dalida, Leny Escudero, Jean Ferrat, France Gall, Françoise Hardy, Eddy Mitchell et Sheila) ont choisi Trenet. Voici ce qu'a exprimé l'auteur de La mauvaise réputation, avec grande ferveur:

"L'avènement de Charles Trenet, en 1936, a été quelque chose de formidable. Enfin quelqu'un essayait de sortir des sentiers battus de la guimauve et des roucoulades de la chanson dite de charme. Il m'a tellement impressionné que pendant des années il m'a empêché d'écrire. Je ne chantais plus que du Trenet. Ce qu'il a apporté à la chanson ? Avant tout, sa personnalité et son talent. Une façon de chanter très particulière; une façon originale de se comporter en scène."

Mais pourtant, Brassens, qui aurait aimé faire plus ample connaissance avec son idole de jeunesse, sera déçu de ne pouvoir y parvenir. Comme Gibraltar en atteste, le Fou chantant se sera toujours montré distant: "C’est le grand regret de Georges. S’il y en avait un qu’il aurait vraiment aimé fréquenter, c’est bien Trenet. Or il s’est trouvé que Trenet […] n’a rien fait pour aller vers Georges." (Pierre Onténiente in Vassal J., 2006. Brassens, le regard de "Gibraltar", Fayard/Chorus, Paris : 295 pp)
 

Une contribution autant intéressante qu'insolite de Jean-Luc Daussaint alias Lucien J. Heldé sur le Portail des amis de Charles Trenet met en parallèle un florilège de chansons des deux auteurs-compositeurs-interprètes dans Trenet, Brassens... et la calamiteuse carrière du juge Dubois. Les retrouverez-vous toutes ?

Georges Brassens renouera avec l’œuvre de Charles Trenet avec les 27 chansons enregistrées dans les studios de Radio Monte-Carlo, les 14 et 15/05/1980, pour être diffusées sur RMC, à l'automne 1980, lors de l'émission Grand quitte ou double, organisée au profit du Comité Perce-Neige, créé par Lino Ventura. N’ayant pas souhaité participer au jeu comme l’ont fait d’autres artistes, Brassens a proposé de créer le double 33T Chante les chansons de sa jeunesse (Philips 6622 032 - 1982), enregistré les 14 et 15 mai 1980 avec Pierre Nicolas, Joel Favreau et Jean Bertola. Ce dernier assurera la production avec Jean-Pierre Hebrard. L’on y retrouve Verlaine ainsi que trois titres de Trenet : Boum, Terre et J'ai connu de vous.


Ci-dessous le double 33T, dont la photographie illustrant le recto de la pochette a été réalisée par Claude Delorme:


4 commentaires:

  1. Savez vous s'il est possible de retrouver l'intégralité de l'émission "La La La" ? Car j'ai vu qu'il existait d'autres extraits différents de celui que vous montrez. En tout cas très bon article.

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    1. Bonsoir, merci de votre message. Plusieurs extraits de l'émission "La La La" sont effectivement visionnables au fil du Net, mais j'ignore s'il est possible de retrouver l'intégralité de l'émission. Peut-être via le site de l'INA ?

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  2. Bonjour,
    Savez-vous s'il est possible d'écouter les enregistrements de l'emission de radio "Musicorama, enregistrée pour Europe 1 au vieux théâtre de l’ABC" ?
    Ou peut-etre qu'il s'agit plutôt de Brassens qui chante les chansons de Trenet qu'on peut retrouver sur le disque "20 Ans D'emissions Avec Georges Brassens A Europe 1"

    Merci d'avance

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    1. Bonsoir,

      À ce jour, je ne connais pas de source permettant d'écouter les enregistrements de l’émission "Musicorama". En revanche, il est possible de visionner des extraits de l’émission télévisée "La La La", du 21/03/1966.

      Sur le 33T "20 Ans D'Émissions Avec Georges Brassens À Europe 1", on retrouve plusieurs interprétations de chansons de Charles Trenet, mais il faudrait que j'effectue des recherches approfondies afin de pouvoir vous dire précisément de quelques émissions elles sont tirées.

      Je vous en indiquerai la liste dès que possible, via ce fil de discussion.

      Bien à vous !

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