A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

vendredi 21 mars 2014

Elle est à toi, cette chanson...

C'est à la faveur d'une permission d'une quinzaine de jours qu'il a réussi à obtenir alors qu'il se trouvait au camp de travailleurs de Basdorf, que Georges Brassens rentre à Paris, emportant avec lui ses notes et ses manuscrits. Il sait, dès lors, qu'il ne retournera pas en Allemagne. Cependant, il lui faut trouver un endroit où se cacher, car une fois la permission arrivée à terme, où viendra-t-on le chercher, sinon chez la tante Antoinette ? La solution de cet épineux problème se profilera grâce à l'amie de cette dernière, Jeanne Le Bonniec-Planche, qui propose de l'héberger dans sa modeste maison sise au 9, impasse Florimont. Brassens viendra donc y habiter dès le 21 mars 1944.

Une toute petite impasse du 14e arrondissement qui donne sur la rue d'Alésia. Dédiée à son ancien propriétaire, cette voie est officiellement orthographiée avec un "T" bien que sur la plaque, "Florimond" soit écrit avec un "D". C'est là que la Jeanne et son époux Marcel vivent, entourés de leurs compagnons: chiens, chats, cochons d'Inde, perroquets, canaris, perruches, pies et bien d'autres encore... sans oublier la cane de Jeanne, que Brassens célèbrera plus tard, dans une de ses chansons ! Ainsi parlera-t-on souvent de l'Arche de Noé, pour désigner l'impasse Florimont. Cependant, le confort y est pour le moins spartiate: pas d'eau courante, pas d'électricité, pas de chauffage ni de tout-à-l'égout. Sans compter l'espace réduit. Au rez-de-chaussée, une cuisine-salle à manger dans laquelle dort Georges et, à l'étage, la chambre de Jeanne. A l'extérieur, il n'y a que les toilettes et un appentis - à côté du poulailler - dans laquelle Marcel a établi ses quartiers.

Cette période d'occupation est difficile pour Jeanne et Marcel qui tentent tant bien que mal de joindre les deux bouts. La première a une activité de couturière dans le voisinage, tandis que le second est peintre en carrosserie. Mais si leurs moyens sont réduits, leur amitié et leur générosité sont extraordinaires. En accord avec les journalistes et biographes spécialisés, il s'agit là très certainement d'une des sources d'inspiration de la Chanson pour l’Auvergnat, fable moderne mettant à l'honneur une personne réelle, un ami qui aurait autrefois secouru notre sétois et qui dénonce l’indifférence d’une société égoïste et satisfaite.

Georges se lève tous les jours à 5 heures du matin. Après une toilette à la pompe avec de l'eau froide puis un peu d'exercice physique, il s'adonne à ses activités de prédilection: composer des chansons en s'accompagnant d'un vieux banjo qu'il a déniché, ainsi que la poursuite de l'écriture de son roman, Lalie Kakamou, qui deviendra La lune écoute aux portes, pour sa publication en 1947. Sans oublier la lecture (poésie et littérature),en particulier après la libération de Paris le 25 août 1944, qui lui permettra de retrouver sa carte de bibliothèque.

Brassens écrira également un recueil de poèmes, Le taureau par les cornes (1944), puis un second roman, La tour des miracles (1953). Et Jeanne sera sa première supportrice, l'encourageant et n'hésitant jamais à l'aider financièrement autant qu'elle le pourra, que ce soit pour acheter des cahiers, des livres, une guitare et bien sûr, pour le nourrir. Début 1945, la fin de la guerre venant, les S.T.O. sont libérés par les troupes soviétiques et c'est le retour des copains sur Paris. Loulou Bestiou, Pierre Onténiente dit Gibraltar, René Iskin, André Larue mais aussi Emile Miramont dit Corne d'Aurochs, viennent tour à tour égayer l'impasse Florimont. Par la suite, Roger Thérond, journaliste à La Voix de la Patrie, débarque à Paris comme correspondant. L'idée viendra de créer un journal, le Cri des gueux, qui finalement avortera, faute de moyens. Quant au "Parti préhistorique", dont l'idée maîtresse est de tourner en dérision les autres partis politiques et de préconiser un retour à un mode de vie plus simple, il tournera court lui aussi, suite à la rétractation de Corne d'Aurochs.

Le lendemain de la publication - à laquelle il ne s'attendait pas - d'un article intitulé Un conte policier... qui pourrait bien être une réalité le 28 juin 1946 dans le N°35 du bimensuel Le Libertaire, Georges se présentera au bureau de l'organe de la Fédération anarchiste (FA). C'est ainsi que, ne trouvant pas de responsable, il sera envoyé à la rencontre d'Henri Bouyé, fleuriste de profession, sur son lieu de travail, avenue de la République. Au sein du groupe anarchiste du 15e arrondissement, où il était devenu militant après son adhésion au mouvement dès le mois de mai 1946 (il est probable que quelques mois auparavant, il ait assisté à des réunions telles que celle du 29 janvier 1946, dont un compte-rendu est donné dans les deux premiers numéro de Entre Nous, bulletin intérieur des militants anarchistes de la région parisienne [Felici I. (dir.), Bories F., Boulouque S., Gurrieri P., Perolini C. et Steiner A. - Brassens anarchiste - p. 72]), il fera la connaissance de Marcel Lepoil et du poète Armand Robin. Il deviendra secrétaire de rédaction du Libertaire sur l'offre de Bouyé après que ce dernier eut consulté le Comité de Rédaction. Brassens écrira un nombre assez conséquent d'articles (137 peuvent lui être attribués, selon l'étude universitaire dirigée par Isabelle Felici) sous les pseudonymes tels que Geo Cédille, Gilles Colin et G.C. entre autres, puis il finira par démissionner librement du comité et de ses fonctions au Libertaire le 6 janvier 1947 au soir, suite aux reproches qui lui seront fait de négliger de répondre au courrier des correspondants du journal, sans compter quelques désaccords avec les responsables. [Felici I. (dir.), Bories F., Boulouque S., Gurrieri P., Perolini C. et Steiner A. - Brassens anarchiste - p. 106]

Son intérêt pour la musique allant grandissant, continue à écrire et à composer, cette fois sur la guitare qu'il a acquise auprès de Raymond Darnajou - dont il avait fait la connaissance lors de la brève aventure du Cri des gueux - grâce à l'aide financière de Jeanne. Ainsi naîtront les ébauches de La Mauvaise Réputation, Le Gorille, La Chasse aux papillons et J'ai rendez-vous avec vous.

Mais la percée se fera attendre pour Georges, qui va vivre nombre de déconvenues. Le salut viendra d'Henri Bouyé, qui lui fera connaître Jacques Grello. C'est après une audition avec ce dernier que, de fil en aiguille, il se présentera chez Patachou avec le succès que l'on sait. Il y fera la connaissance des musiciens de cette dernière: l'orchestre de Léo Clarens. Parmi eux, le contrebassiste Pierre Nicolas, qui deviendra son accompagnateur attitré. Tissant des liens d'amitié, ils se découvriront rapidement un point commun: Nicolas, proposant à Georges de le raccompagner chez lui après un tour de chant précédant son premier passage à l'Olympia (du 23 - dans Je les ai tous vu débuter (2021), Doudou Morizot indique le 19 - février au 4 mars 1954), s'aperçoit qu'il habite l'impasse Florimont, qui se trouve être... son lieu de naissance !*


Brassens restera près de 22 ans à l'impasse Florimont, y recevant ses amis et garnissant régulièrement la table de ses hôtes qui ont tant fait pour lui... chaque fois qu'ils le pouvaient. Mais au sortir de la guerre particulièrement, il lui est souvent arrivé de devoir jouer les pique-assiette chez différents proches. Lesquels, lorsqu'ils venaient lui rendre visite, devaient montrer patte blanche: la Jeanne était méfiante et avait ses têtes. De plus, la jalousie maladive dont elle pouvait faire preuve ne lui faisait admettre chez elle que des copains au masculin. Les représentantes du beau sexe, si elles n'étaient accompagnées de leur mari, se voyaient opposer une fin de non-recevoir. Mais si Georges devra feinter nombre de fois le caractère de celle qu'il surnommera Calamity Jeanne, il laissera faire car, une fois devenu célèbre, cela lui permettra de garder une certaine tranquillité.


En 1955, il acquerra la maison de Jeanne et Marcel - qui n'auront plus de loyer à payer - ainsi que celle qui lui est mitoyenne, ce qui permettra d'apporter le confort rudimentaire qui y manquait jusqu’alors. Par ailleurs, l'électricité et l'eau courante seront installés. C'est à la fin du printemps 1966 que Brassens quittera l'impasse Florimont, suite au remariage de Jeanne - après un an de veuvage - avec un homme lui aussi prénommé... Georges. Georges Sanjak, de 38 ans son cadet et dont le penchant pour l'alcool n'est plus à démontrer. Sans compter les crises de démence dont il est sujet et qui auront eu tôt fait d'impacter négativement l'ambiance de la maison. Prenant tout d'abord la nouvelle comme plaisanterie, le sétois moustachu essaiera en vain de la raisonner (tout comme Gibraltar ainsi que d'autres amis qui soupçonnent aussi, comme lui, que son prétendant en veut à l'argent dont elle dispose maintenant grâce à son soutien), mais se résignera lorsqu'il comprendra qu'elle est sérieuse.

Après avoir logé quelques mois dans un petit appartement du 28, avenue Reille, puis déménagé vers un duplex de l'immeuble "Le Méridien de Paris" (22-34, rue Darreau ; 5-19, rue Émile Dubois), Brassens s'installera au 42, rue Santos-Dumont, dans le 15e arrondissement. Après le décès de Jeanne le 24 octobre 1968 (les obsèques auront lieu cinq jours plus tard, en présence de René Fallet et Jean-Pierre Chabrol, lequel publiera dans Paris Match un texte intitulé Des roses rouges pour Jeanne), il louera la maison de l'impasse Florimont au comédien suisse Armand Abplanalp, avant d'en faire don à Gibraltar. Il n'y retournera qu'en 1971, à l'occasion de ses 50 ans, fêtés autour d'une pléiade de copains. Une lettre de René Fallet, écrite de Londres le 9 novembre 1969, suggère que Brassens n'avait pas l'intention de revenir habiter la maison de sa bienfaitrice:

"My dear big,
J'ai eu des nouvelles de toi par France-Soir et Agathe qui me dit que tu as trouvé une petite maison dans le quatorzième, ce qui laisse supposer que tu aurais renoncé à l'impasse. A mon avis, le fantôme de notre pauvre vielle Calamity Jane aurait été dur à supporter..." [Calvet L.-J., 1991. Georges Brassens - p. 207]



De nos jours, l'impasse est mise en valeur par deux plaques (l'une dédiée à Georges Brassens, l'autre à Pierre Nicolas) fixées à son entrée, ainsi qu'un grand panneau situé rue d'Alésia, apposé à l'initiative du conseil de quartier Pernety. On peut y voir une célèbre photo Georges prise en avril 1957 et utilisée plus tard pour réaliser les pochettes de certains disques.

 

À côté de la porte de l'actuel N°7 (ancien N°9), une plaque commémorative ornée d'un bas-relief en bronze réalisé par Renaud est installé à l’initiative de l’association Les Amis de Georges le 22 septembre 1994. On notera, sur cette plaque, la reproduction de deux vers tirés du Moyenâgeux:

Et que j'emporte entre les dents
Un flocon des neiges d'antan...

La cérémonie a donné lieu à un discours prononcé par André Tillieu suivi d'une fête en musique, dont il reste aujourd'hui une vidéo amateur sur laquelle Maxime Le Forestier chante L'orphelin:


- Lire l'invitation ainsi que le discours d'André Tillieu (ce dernier est également à retrouver via la séquence vidéo ci-dessous) sur le site de l'association L'Amandier -


Le 1er octobre 2005, ce sont trois chats en terre cuite ont été réalisés par Michel Mathieu, potier à Tulette, qui sont placés sur les murs de la maison (en souvenir des nombreux félins recueillis par la Jeanne), sur idée de Claudy Lentz de la Ferme de la Madelonne à Gouvy (Belgique), avec le concours de Valérie Ambroise et l'accord de Gibraltar.

Après le décès de ce dernier (survenu dans la nuit du 12 au 13/06/2013), des interrogations se sont vite propagées quant au devenir de la célèbre maison. Ainsi est née la Supplique pour garder la maison de la Jeanne, Impasse Florimont, écrite par Kalou sur une musique d'André Bec, qui nous permet de nous remémorer, en compagnie des Copains d'accord's, (présents lors de la pose de la plaque commémorative) l'histoire de ce site mythique.


Aujourd'hui, c'est Françoise, la fille de Lucienne et Pierre Onténiente qui demeure à l'impasse Florimont. La mémoire des lieux continue donc d'être perpétrée, pour le plaisir de tous les fans et admirateurs du poète sétois...


*D'après le témoignage de Roger Comte dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999), cet épisode, relaté dans nombre d'ouvrages de la littérature brassénienne, se placerait plus logiquement juste après l'audition chez Patachou le 24/01/1952. Toutefois, des recherches demandent encore à être effectuées afin de pouvoir dissiper définitivement cette ambiguïté.

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